Le réalisateur : interlocuteur privilégié dans la création d’une musique de film.

Le réalisateur (le réal ou le réa dans notre jargon), c’est la personne qui, avec le superviseur musical, est la mieux placée pour décrire ses attentes vis à vis de la musique à composer pour le film.

Une phrase que j’ai souvent entendue : « ce film, c’est son bébé ».

Certes, ce n’est pas le bébé brailleur qui rempli allègrement ses 8 couches par jour, mais plutôt le bébé tendresse qui fait notre fierté, que l’on souhaite protéger et voir grandir.

Pour un réalisateur, un film est toujours une grande aventure, une œuvre originale dans laquelle il s’est humainement impliqué. Sa grande ferveur artistique est souvent malmenée par les réalités techniques comme les moyens budgétaires, les délais impartis, la météo, ou encore certains problèmes de communication avec la boite de production. Mais cela ne l’empêche pas de créer…
Finalement cette vision ressemble beaucoup à celle des compositeurs : pas mal de points communs nous rapprochent.

En ce qui me concerne, la plupart de mes collaborations avec les réalisateurs se sont bien passées. Bien sûr, il y a (et il y aura) toujours des mauvais caractères ou des orgueilleux (que ce soit du côté des réalisateurs ou des compositeurs), mais dans l’ensemble, ce sont des gens sympathiques qui ont l’habitude de travailler avec d’autres personnes et qui sont parfaitement conscientes des valeurs relationnelles et psychologiques.

En début de projet, j’essaie d’adopter une attitude sereine et de me dire que je ne travaille pas pour le réalisateur, mais « avec » le réalisateur. Cela commence souvent par une rencontre physique au cours de laquelle on parle du film, du rôle de la musique, de certaines références musicales à prendre en compte, des goûts musicaux de chacun… A ce stade, il est rarement question de rémunération ou de devis d’orchestre et d’enregistrement qui me paraissent pourtant incontournables si l’on veut obtenir de la qualité. Mais le « comment » n’est pas la première préoccupation du réalisateur qui privilégie avant tout l’aspect artistique.

C’est délicat pour nous d’essayer de répondre à ses aspirations si l’on sait pertinemment qu’il n’y aura pas les moyens financiers pour réaliser une belle musique. Il le sait bien pourtant, puisque lui même est confronté aux mêmes problèmes pour mener à bien son projet. Mais ce film, c’est son bébé…. pour les sous, voyez avec la production…
On entre alors dans une relation triangulaire : réalisateur-compositeur-producteur qui peut très bien se passer (ou pas).

Au fur et à mesure que le projet avance, une relation de confiance s’instaure avec le réalisateur. Transcrire musicalement ce qui est dit verbalement est parfois difficile. Il m’est arrivé de devoir décoder le vocabulaire « subjectif » du réalisateur, comme « j’aimerais quelques chose de plus granuleux et moins gris à cet endroit » ou encore « ça manque de couille » (véridique). Ce n’est pas tellement le sens des mots qui est difficile à traduire musicalement, mais le degré d’application. Par exemple, pour rendre un morceau plus couillu (pour rester dans le dernier exemple), il existe 36 manières de procéder. Souhaite-t-il une musique un peu plus ou beaucoup plus orchestrée ? Est-ce que je lui propose quelque chose de plus viril, ou alors de plus rapide, de plus consistant, de plus cuivré, de plus agressif, de plus dynamique, de plus mémorable sur le plan thématique, de plus osé sur le plan harmonique etc… et surtout jusqu’à quelle intensité ? La discussion est donc primordiale pour être bien sûr de ne pas se lancer dans une mauvaise direction. Car la moindre orchestration approfondie, le moindre changement de thème peut demander des heures de travail.

J’aime bien travailler avec un réalisateur qui a quelques notions d’orchestration. Il est plus facile pour moi de répondre à ses attentes lorsqu’il me demande d’enlever la partie de trombones qui le gêne, ou de mettre en valeur les cordes à tel endroit.
Le pire, c’est lorsque le réalisateur ne sait pas vraiment ce qu’il veut. Ordinairement, cela se traduit par la phrase standard « surprenez moi » qui veut tout dire et rien dire à la fois… beaucoup d’heures de travail à tâtonner, le temps de tomber sur le thème, l’harmonie, l’orchestration qui sera susceptible de plaire… au petit bonheur la chance. Certains compositeurs y arrivent très bien. C’est peut-être ça le talent. Mais moi, je sais que j’ai besoin d’être guidé. C’est à partir de l’idée directrice que je vais pouvoir me lancer, personnaliser, orchestrer à ma manière et surprendre parfois. Voilà, c’est ça : je crois qu’il est difficile de surprendre quelqu’un qui s’attend à être surpris. Au contraire, lorsqu’un réalisateur souhaite quelque chose de précis, c’est l’occasion rêvée d’apporter une petite touche personnelle, un élément de surprise…

10 réflexions sur “Le réalisateur : interlocuteur privilégié dans la création d’une musique de film.”

  1. Guillaume Roussel

    Dès fois le réalisateur qui sait exactement ce qu’il veut…c’est mauvais signe aussi. Il y a certains réalisateurs qui "voient" la musique, et qui attendent du compositeur une matérialisation. Ils peuvent en avoir une idée imprécise, de laquelle le compositeur essaiera de se rapprocher…mais au bout de plein d’essais…C’est très dur de travailler avec de genre de réal qui, en vérité, auraient vraiement préféré composer la musique. Il y a un documentaire qui parle très bien de cette "angoisse" qu’on les réalisateur à laisser leur "bébé" entre les mains d’une tierce personne. C’est un docu de Vincent Perrault. On voit bien la complexité de la relation compo-réal. Le fait que le réal ne puisse pas intervenir directement sur la musique, peut petre troublant. Il faut souvent rapeler qu’au final, le compositeur est au service du film, et qu’il travail (comme tu l’as dit Tanguy) non pas pour ni contre, mais avec le réal…
    (didons, j’ai jamais autant écris, et j’ai jamais été aussi sérieux…!!! Je vais me coucher, je dois avoir de la fievre!!)
    Aplus

  2. Coucou Tangui ! C’est Matthieu (email de la semaine dernière).
    Merci pour tes conseils. Saches que j’ai trouver comment bien synchroniser mes vidéos et ma musique dans cubase.
    Je t’avais parler d’une musique dans le style de John Williams que j’ai composé. Tu pourras la publier (sur ton site, ou sinon elle sera sur le mien) dans quelques semaines (peut-être 6 ou 8 !) car il me faut la déposer à la SACEM…

    A bientôt et continu ton travail ! c’est génial !

  3. frisson reynald .( le plus grand des compositeurs mancho )

    Hello
    Que je retrouve tant de pensé perso dans ton articles. Il est tant vrai que les réals on besoin de nous mais être séparé de leur Bébé , c’est raide pour eux .Moi j’ai un réal préféré . Fabrice Colson. Il a Une bonne vision de l’orchestre et de l’harmonie sans même savoir jouer ni taper sur le clavier . Et il est vraiment présent. En général moi je comprend assez bien les réals. Mais mon secret c’est de passer des heures au tel avec eux; (Cf mon ITV bientôt dispo ) J’en ai rencontré des chiants, mais des sympa c’est plus courant . IL faut travailler avec et pour .Surtout avec . IL faut lui faire comprendre comment on compose avant de composer. Souvent j’explique quel est mon set de travail. Ce que je peux faire , et ce que je ne peux pas . Je leur demande aussi ce qu’il aime pas comme instrument , car cela evite de commencer une orchestre , et une harmonie basé sur l’instrument qu’il déteste . Arff la c’est la galére . Je me rappel d’un réal , qui m’avait dis ( véridique ) ." Je veux de l’épique , du bien péchu, genre gladiator , mais sans cuivres, ni clarinette( lol notez bien le mot clarinette . ) j’aime pas ca! Mais moi du violon a la place des cuivres ." Je vous raconte pas comment j’en ai chié ! lol
    Par contre sur mes derniers compos .. j’ai travaillé un peu en force et je me suis fait plaisir en imposant des musiques et des styles. D’ailleur j’ai fait écouté mon travail a Guillaume, et il m’en a félicité par tel. Ce qui veux dire que desfois , l ‘on fait du meilleur boulot si on reste sois même. Et le réal à adoré les zics. !!

    Puré j’ai écrit une tartine.( et bourré de fautes ! )

  4. Curieux… je crois que je ne vois pas les choses comme cela (en même temps il faut de tout pour faire un monde)…

    D’abord en général toutes mes expériences ses sont bien passées. J’ai rencontré des réalisateurs assez désagréables qui m’ont mené en bateau et me considéraient comme un supermarché de musiques libres de droits (et au final je n’étais pas pris sur le film et je l’apprenais 6 mois plus tard en voyant que le film concourait à un festival). J’ai eu quelques désaccords bien sûr, avec le réa avec qui je travaille en général notamment (qui est aussi mon meilleur ami), mais toujours, à la fin, les réas sont extrêmement satisfaits. Depuis un ou deux ans, les désaccords n’existent plus d’ailleurs: tout va comme sur des roulettes.

    Il ya deux choses pourtant où je m’inscris en faux.

    – je parle toujours des moyens mis en place dès le début. Je ne compose pas une note sans savoir ce que je vais avoir au final comme formation d’enregistrement. Je compose en fonction des moyens. Si on me demande de faire une musique qui nécessite un enregistrement et que je n’ai aucun moyen d’enregistrer, il faudra trouver dès maintenant une solution avec le réa. Je composerai différement pour orchestre si je sais que je vais enregistrer ou non. Je trouve que c’est de la perte d’énergie de composer en prenant en compte différentes éventualités, alors je préfère que les choses soient mises à plat dès le début. C’est aussi une façon de faire comprendre au réa que la musique a un coût, et que l’intérêt artistique est accru lorsqu’on enregistre…

    – Le réa n’est pas forcément le décideur ultime, car le film est une collaboration entre ces deux auteurs considérés d’ailleurs par la loi comme tels et cela à part égale (le compositeur est même plus protégé que le réalisateur par rapport au producteur). D’un point de vue artistique, c’est tout aussi valable: pour moi une musique, c’est 50 % de la réussite d’un film. Il faut donc que les deux parties se fassent confiance. Autant je ne me mêle pas du boulot du réa (même si parfois je participe à la rédaction du scénario), autant je m’attends à ce que celui-ci ne soit pas excessivement "invasif" si je peux me permettre ce barbarisme.

    Cela rejoint une discussion que j’ai eu avec un réa lors d’une rencontre informelle vendredi dernier.

    Quand je compose une musique, je bâtis celle-ci de manière cohérente. Si en enregistrement, un réa me dit d’enlever les seconds violons, je me dois de refuser a priori. C’est comme si on me demandait d’enlever un mur de soutien dans une maison.

    Dans ce cas, comme il faut faire oeuvre de diplomatie, je préfère dire au réa: cette partie est essentielle à mon harmonie. Puis-je plutôt te proposer autre chose? A quoi veut-tu arriver du point de vue de l’émotion? etc… et dans ce cas là on recompose. C’ets d’ailleurs dans ces moments que la différence se fait entre ceux qui composent sur ordi sans aucune base et ceux qui ont de vraies bases musicales. John DEbney, en enregistrement, est capable de recomposer le thème en deux secondes… Evidemment, de nos jours, tout cela est décidé en général pendant les maquettes. Il faut donc d’ailleurs tout faire pour que le réa considère la musique maquettée comme définitive.

    Dans le cas que tu évoques, Frisson, j’aurais bondi. Il y a un moment où on doit faire comprendre au réa que l’instrument qu’il déteste a parfois sa place et qu’il ne le détestera pas forcément dans ta composition. Dans ce cas il faut proposer au réa des solutions alternatives. Ou bien le convaincre (un vrai artiste est toujours ouvert. Kubrick, qu’on a toujours cru à tort comme un dictateur, était ouvert à des idées contraires). un réa qui se ferme dès le début à certaines solutions, c’est ce qu’il y a de plus terrible. Il faut amener le réa à s’ouvrir à des solutions auxquelles il n’avait pas pensé. C’est la partie la plus difficile de notre travail.

    L’important c’est de discuter, d’argumenter, de convaincre, d’attirer la confiance, de proposer des solutions différentes de celles attendues si on le ressent comme tel. P. Bourorga d’Api Corp m’a dit dernièrement qu’il fallait proposer deux maquettes à chaque fois: une respectant les souhaits du réa, une correspondant à notre vision du film.

    On peut biaiser lorsqu’un réa n’a aucune base musicale. Il y a des tas de façons de le faire pour que tout le monde soit heureux (vous connaissez la technique du fader fantôme, technique la plus extrême…). Dans le cas d’un réa qui s’y connaît en musique (ce qui ne m’arrive jamais), j’écoute toujours son avis, et on parle jusqu’à ce qu’on arrive à un compromis. Mais je tente tout de même de faire valoir ma position: si je travaille avec lui c’est qu’il aime ma personnalité musicale… sinon il aurait fait la musique lui-même.

    Corrolaire: lorsque je discute avec un réa, je fais en sorte:
    1°) qu’aucune référence musicale existante ne soit évoquée
    2°) qu’aucune référence instrumentale ou technique ne soit évoquée. Il est préférable à mon sens que le réa parle de façon générale, en parlant émotion, couleur…

    Bref on pourrait parler de tout cela des heures.

    (je vous ai battu pour le roman :-)))) )

  5. A ce train là, il va falloir ouvrir un forum 😉 Je vais essayer d’agrandir la fenêtre de saisie des commentaires (pour plus de confort d’écriture et de relecture).

    En tous cas, merci pour vos différents points de vue et vos témoignages. C’est très enrichissant de constater que les choses ne se passent pas de la même manière selon les compositeurs.

  6. Euh… ça met un peu la pression au niveau du réal, tout ça… c’est promis: j’essaierai de me montrer clair et précis (avec les notions de musique que je possède) tout en te laissant de la bride sur le cou! ;o)

  7. N’empêche, on se connait bien mais on n’a encore jamais bossé ensemble. Si ça se trouve, on va se taper sur la tronche… Bon, je vais faire quelques pompes à tout hasard.

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