Dance of the Knights de Sergei Prokofiev, un thème souvent entendu dans des films ou des émissions. Par Christian Pastoret.

Aujourd’hui, je laisse la parole à mon collègue Christian Pastoret 😉

Tanguy

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SERGEÏ PROKOFIEV – DANSE DES CHEVALIERS
Extrait de ROMEO & JULIETTE

Cette « Danse des Chevaliers (Dance of the Knights)» appelée également « Montaigus et Capulets (Montagues and Capulets) » est l’Acte I Scène 2 du ballet « Romeo et Juliette » (1935).
Cet immense morceau est présent dans Mauvais sang (Leos Carax, 1986) et dans la pub Chanel Egoïste. Fréquemment utilisé comme générique (radio, télé), il a également servi d’hymne à un club de foot anglais (Sunderland).

THÈME PRINCIPAL :

Le thème principal est la partie la plus connue du morceau. Il est dans la tonalité de Em et se termine (mesures 9 et 10) par des descentes basées sur Ré Do# Do Si (accords Bo Bbo Am BM7) :

Prokofiev
Prokofiev

Evgeny Kissin, piano, 2010

Puissance de la rythmique :

Dans la version orchestrale, le thème principal débute par une rythmique lourde et puissante (allegro pesante) portée par les cordes et les cuivres. Pas de montée d’intensité, on est déjà proche du maximum dès le début ! Il me semble qu’une fois qu’on a entendu cette puissance rythmique, on ne l’oublie jamais…

Les cordes alternent entre les basses et les autres notes des accords : Mi sur temps 1, Sol+Si sur temps 2, Sol sur temps 3, Sol+Si sur temps 4, etc.
Le trombone basse et le tuba soutiennent les temps 1 et 3, et les cors français et trombones répondent sur les temps 2 et 4.
Il en résulte une grande lourdeur, fascinante, appuyée par le grain des cuivres et des percussions.

Récapitulation rythmique :

Prokofiev

Valery Gergiev, LSO, 2008

Lyrisme dramatique de la mélodie :

Le thème démarre dès la 3e mesure. Les violons I et les clarinettes, très sombres et lyriques, permettent d’alléger l’équilibre sonore en montant vers les aigus (mesures 5, 6, 7). Ils redescendent à la fin du thème, où les rythmiques redeviennent essentielles, avec les roulements courts de caisse claire.

Le thème est « simplement » basé sur les arpèges des accords : mi sol si (mesures 4-5), si ré fa (mesures 6-7) et devient plus complexe dans les mesures suivantes, amenant les modulations harmoniques passagères (DM7 et Gm). La rythmique du thème, saccadée (croche pointée-double croche), renforce l’effet « dramatique ».

Les bois (bassons, flûtes et hautbois) jouent des longues notes tenues correspondant aux accords (mi sol si puis si ré fa) et participent à la descente de la fin du thème. Ils sont plutôt difficiles à discerner, mais participent à la dynamique globale.

Prokofiev

(source du score : George Pollen)

Le thème est joué 1 fois (mesures 1-10) puis repris jusqu’à un arrêt brutal (mesures 11-17) :

Leonard Slatkin,
BBC Symphony Orchestra, 2003

Thème secondaire :

Les violons et altos lancent ensuite des motif insistants, (croches pointées-doubles croches), laissant la partie mélodique aux cuivres.
Le thème est ensuite repris en partie jusqu’à un nouvel arrêt (mesures 17-28) :

Leonard Slatkin,
BBC Symphony Orchestra, 2003

Modulation en Fm :

Le thème est repris, modulé (en Fm), et conclu par une descente (retour en Em) qui repart sur le thème principal, terminant cette partie (mesures 29-36) :

Prokofiev

Modulation en Fm puis retour en Em :
Leonard Slatkin,
BBC Symphony Orchestra, 2003

STRUCTURE DU MORCEAU :

Le morceau débute réellement par une partie sans « vrai » thème, partie uniquement destinée à créer une atmosphère sombre, passant de pianissimo à fortissimo, puis piano.
Plusieurs autres thèmes mélodiques sont développés, notamment une atmosphère toute en douceur, exprimée par les flûtes, un célesta, et les pizzicati des cordes, qui raconte l’arrivée de Juliette au bal :

Arrivée de Juliette. Valery Gergiev, LSO, 2008

Après cette partie, le thème principal repart crescendo, joué d’abord par un saxophone ténor, puis repris par l’orchestre, jusqu’au dénouement final :

Reprise crescendo du thème principal.
Valery Gergiev, LSO, 2008

COMPARAISONS DE VERSIONS :

Comme pour toute œuvre, les versions orchestrales peuvent varier considérablement en fonction du chef d’orchestre, qu’on perçoit clairement en comparant la version de Claudio Abbado à celle de Valery Gergiev.

Claudio Abbado fait jouer l’orchestre de façon fusionnelle, en un bloc massif, un peu traînant, tandis que Valery Gergiev privilégie le grain des cuivres pour la rythmique, avec un tempo plus rapide et des attaques agressives.

Mesures 1-17. Claudio Abbado, Berliner Philharmoniker, 1996

« Son sens du détail, ses harmonies incroyables et ses mélodies agréables me procurent toujours le même plaisir. Ce que nous appelons aujourd’hui la musique de Sergueï Serguelevitch Prokofiev est une mine inépuisable d’idées musicales. Et mon devoir est de le servir au mieux » Valery Gergiev

Mesures 1-17. Valery Gergiev, LSO, 2008

« Le mérite principal de ma vie (ou, si vous préférez, son principal inconvénient) a toujours été la recherche de l’originalité de ma propre langue musicale. J’ai horreur de l’imitation et j’ai horreur des choses déjà connues. » Sergueï Prokofiev

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Pour en savoir plus sur Christian Pastoret et écouter ses compos, je vous invite à découvrir son blog :

Prokofiev

5 réflexions sur “Dance of the Knights de Sergei Prokofiev, un thème souvent entendu dans des films ou des émissions. Par Christian Pastoret.”

  1. Bonjour,

    Je voulais savoir ou je pouvais diffuser ma musique destinée aux films/JV/documentaire…
    Google à beau être mon ami, je ne trouve pas de réponses.
    Merci d’avance.

  2. Bonjour à tous,

    Merci à Christian et Tanguy pour ce post.

    En effet, il est vrai que la musique dite "classique" des grands compositeurs du passé est régulièrement employée dans la musique de film. Les exemples sont nombreux.

    Je citerai par exemple:
    – Le thème de l’hymne à la joie de la 9ème symphonie de Beethoven, certainement l’une des plus fréquemment entendues de toutes d’ailleurs.
    – La petite musique de nuit de Mozart, dans les réceptions de la haute société et les lieux chics.
    – O fortuna (Carmina Burana)de Carl Orff dans Excalibur et autres films pour créer une ambiance galvanisante.
    – Aquarium tiré du Carnaval des Animaux de Camille Saint Saëns, en particulier dans la publicité pour son ambiance mystérieuse et hypnotisante.
    – L’adagio de Samuel Barber également très utilisé au cinéma dans des films comme Platoon ou encore Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain.
    – La chevauchée des Walkyries de Richard Wagner en particulier dans le film Apocalypse Now.

    Je dirai même que certaines de ces musiques ont tellement été bien choisies pour des films que l’on en aurait presque l’impression qu’elles eut été composées spécialement pour eux. Ce qui n’est pourtant pas le cas !
    Exemple: Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss pour le film 2001 l’odyssée de l’espace.

    Et bien d’autres titres encore…

    Longue vie au blog de Tanguy Follio !

    A bientôt !

  3. Hello Pierre, il existe des sites tels que soundcloud.com où l’on peut y déposer pas mal de nos musiques. Ensuite, il y a tout un travail de démarchage qui peut se faire via Internet, ou par téléphone ou en se déplaçant chez les professionnels. L’intérêt de mettre ses musiques sur ces sites "vitrines" est qu’ils nous servent de carte de visite.

    Salut Patrice, content de te revoir ! Merci pour tes indications 😉

  4. Merci à vous deux pour cet article encore une fois de plus extrêmement bien ficelé et dodu! J’adore ce blog!

  5. Merci pour cette belle analyse. Je me permets de la compléter par deux remarques.

    D’abord l’extrait de la partition d’orchestre ne correspond pas à la notation de Prokofiev. En fait ce compositeur était le premier (à ma connaissance) à avoir écrit tous les instruments en Do dans le conducteur (et ça le rend encore plus sympathique à mes yeux!). Une conséquence logique était que les trompettes sont placées au dessus des cors car elles jouent bien plus dans l’aigu qu’eux.

    La deuxième remarque concerne l’harmonie d’un autre extrait que celui du billet: il s’agit du fameux finale de l’acte II. Vous pouvez l’écouter ici
    http://www.deezer.com/track/4589...
    et lire la première page ici:
    http://www.latroika.com/tf/Romeo...

    J’ai essayé d’analyser les harmonies des accords du début:
    Mesure 1 : I – I – VII – I
    Mesure 2 : V (sur I à la basse) – ??? (sur IV à la basse) – V (avec ré altéré en mi bémol)

    Mais quel est donc cet accord bizarre sur le deuxième temps de la deuxième mesure? A mon avis il est inutile d’essayer de l’expliquer de manière classique, je pensais que Prokofiev a cherché cet accord sur le piano en se fiant à son oreille. Mais un des mes amis compositeurs a trouvé une explication de cet accord; la voici (attention, on communique en français mais on utilise les désignations allemandes pour les notes, car plus simples):
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    "J’ai maintenant l’explication de ton accord ???. Il s’agit d’un accord qui en fait en est deux cumulés, c’est pourquoi il s’enchaîne à une dominante altérée. Je m’explique : il n’y a pas trente-six façons d’arriver sur une dominante. Le plus souvent, on utilise soit V de V, soit II qui peut aussi contenir le degré napolitain. Ici, nous avons une superstructure qui cumule II napolitain (par la présence de As qui sous-entend f-as-des, mais sans que des ne soit exprimé), et V de V (fis-d, qui sous entend fis-a-c-d, V de V en c-moll). Là, tu serais en droit de me dire d’arrêter l’alcool et que tout cela n’est pas très justifié. Et c’est là que la magie opère!! Il existe une autre lecture qui nous renvoie chez notre ami commun Wolfgang M. Il adorait, avant une dominante, jouer sur l’ambiguïté V de II Napolitain et V de V altéré. Voici comment….

    Restons en c-moll, tonalité de l’extrait qui nous préoccupe. Le napolitain est donc Des-dur (II abaissé). Sa dominante est as-c-es-ges. Avec ges à la basse, ça nous donne le +4 ges-as-c-es. Comme tu le sais, il doit se résoudre sur I en position d’accord de sixte, c’est-à-dire f-as-des. Ce que Wolfgang Momo fait. Par enharmonie, on peut lire non pas ges-as-c-es, mais fis-as-c-es, qui est alors V de V en c-moll, mais avec la quinte abaissée (d-fis-a-c-es avec as au lieu de a), et sous sa forme de septième diminuée, sans la fondamentale d (fis-a-c-es, qui devient fis-as-c-es après altération de la note quinte). Accord qui se résout chez Wolfgang sur un 6/4 g-c-es. Il adorait faire les deux à la suite (deux fois de suite l’enchaînement ges-as-c-es / f-as-des, puis la troisième fois, fis-as-c-es / g-c-es qui aboutissait à la cadence en c-moll).

    Nous avons ici la suggestion des deux formes d’arrivée sur V : par le II napolitain (f-as, mais il manque des), et par V de V (fis-a-c-d, suggéré par les deux notes extrêmes fis et d). La présence de as dans V de V ne gêne pas car elle fait allusion à l’enchaînement de Momo dont je te parle plus haut. Il se cache de manière plus diffuse une allusion à l’harmonisation du mineur mélodique ascendant de Fauré croisé avec la dominante Ravelienne, mais là on frise la paranoïa et l’alcoolisme…. 😉

    C’est cette superstructure qui rend nécessaire l’arrivée sur la dominante altérée avec quinte haussée (g-h-dis, noté ici g-h-es que l’on peut aussi voir comme V avec sixte ajoutée, comme tu préfères). En effet, aucune autre des dissonances usuelles sur V ne serait assez forte pour soutenir le contraste de ce V de V napolitain".
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    Cette explication est intéressante. Et on ne saura jamais si Prokofiev a pensé consciemment à tout ça. Probablement, comme avec tous les grands créateurs, il s’agit d’un mélange entre culture acquise et intuition.
    D’ailleurs il est toujours intéressant de lire les traitées d’harmonies des grands compositeurs (et pas ceux des professeurs érudits des cours d’harmonie) car ils ont une approche plus créative au sujet. Je pense notamment à celui de Schoenberg
    http://www.amazon.fr/Harmonieleh...
    et aussi au livre de son compatriote et contemporain Ernst Toch:
    http://www.amazon.fr/The-Shaping...
    Ce dernier se défend de tout g genre d’analyse qui donne le mal de tête…

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